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Millenium Graindesel
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12 avril 2006

Pour en finir avec la société de précarité

(Tribune publiée par Laurent Fabius dans le journal Libération le 7 avril)

La crise actuelle ne peut se régler que par un projet solidaire, établi dans la concertation.

Le gouvernement Villepin-Sarkozy avait besoin, disait-il, de cent jours pour rétablir la confiance : il en aura mis moins de trois cents pour la perdre. Au-delà de ce constat brutal, c’est un sentiment de gâchis que l’on éprouve devant la situation actuelle, d’autant plus insupportable qu’elle concerne une jeunesse éprise de transparence et d’absolu. La crise du CPE n’est pas terminée, elle conduit cependant dès maintenant à tirer plusieurs conclusions pour l’avenir.

Le premier enseignement concerne les réformes. Dans un monde qui bouge à toute allure, la France doit évidemment s’adapter. Si on ne veut pas rendre nos compatriotes rétifs à toute adaptation, il faut éviter de confondre réforme et régression. Il n’y a « réforme » que s’il y a amélioration durable pour les intéressés et pour la collectivité. Pour être praticable, une réforme doit faire l’objet d’un constat partagé, puis d’une concertation attentive, ensuite seulement d’une décision, enfin d’un suivi et d’une évaluation. Tel n’est pas le cas du contrat première embauche où tout a été mené à l’envers et en dépit du bon sens. J’en tire une exigence qui devra valoir désormais pour tout gouvernement : s’agissant du domaine social, notamment des règles fondamentales du droit du travail et de la Sécurité sociale, aucun projet de loi ne doit être examiné sans concertation préalable avec les partenaires sociaux. La France n’est pas irréformable, elle est simplement exigeante.

Une deuxième conclusion s’impose : le système institutionnel français est fourbu. Qu’un président de la République puisse, dans un même discours solennel, annoncer qu’il promulgue une loi et réclamer qu’elle ne soit pas appliquée en dit long sur la personne qui tient ce langage, mais aussi sur la dévalorisation de la fonction présidentielle elle-même et de la loi. Comment, d’un côté, prôner le civisme en stigmatisant les comportements illégaux et les zones de non-droit, et, de l’autre, donner instruction de ne pas appliquer la loi ! Même finasserie absurde lorsque le chef de l’Etat écarte son Premier ministre tout en le maintenant, le maintient tout en confiant le dossier central à son rival, réaffirme l’autorité du gouvernement mais dessaisit celui-ci au profit du parti majoritaire. Un gouvernement ne peut tout de même pas être une pétaudière... Tout cela sent la crise de régime et condamne, je l’espère définitivement, ce type de présidence pour convenance personnelle.

Le temps est venu de remettre la République sur ses pieds. Non pas en instaurant un régime présidentiel à l’américaine, comme le souhaite le boulimique ministre de l’Intérieur, mais notamment par une réaffirmation de la mission d’arbitre du chef de l’Etat, par une autorité claire accordée au Premier ministre, par un rôle renforcé de l’Assemblée nationale davantage maîtresse de son ordre du jour, par la suppression de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, par la reconnaissance d’un vrai statut de l’opposition, par une parité femmes-hommes au sein du gouvernement, par la nomination des membres du Conseil constitutionnel à travers une majorité qualifiée de députés, etc. : il s’agit de faire accéder la France au statut d’authentique démocratie parlementaire, laquelle n’est pas séparable d’une démocratie sociale.

Ne laissons pas croire que, face à la mondialisation libérale, la réponse obligée soit la précarité. Celle-ci fragilise, démotive, exclut : elle doit être découragée. Un chef d’entreprise recrute non parce que les contrats de travail sont précarisés, mais parce que l’activité économique le justifie. La précarité ne crée pas d’emplois. Les jeunes veulent à bon droit une meilleure formation.

Le CPE n’est qu’un exemple parmi d’autres des dérives libérales majeures causées par l’omnipuissance internationale de la finance : OPA sans frein, pollutions sans bornes, marchandisation sans limites, uniformisation culturelle sans frontières. La précarité ne se retrouve plus aux marges du système mais en son coeur ; voilà ce qui doit être changé par un projet solide et solidaire.

Ma conviction est qu’on n’améliorera vraiment l’emploi que si on relance la croissance grâce à un soutien du pouvoir d’achat et à une dynamique de l’innovation des entreprises, que si on bâtit progressivement pour les salariés une couverture professionnelle universelle, que si on forme beaucoup mieux les jeunes avec des perspectives d’emploi durable. Cela vaut pour l’Europe comme pour la France. Dans l’immédiat, commençons par une abrogation nette du CPE car il est urgent d’en sortir. Sinon, le climat restera empoisonné, cette abrogation constituant alors la première décision que devra prendre la gauche de retour au pouvoir.

Dans le grand débat qui s’ouvre pour les prochaines échéances, le choix sera entre une société de précarité et une société de solidarité. Le peuple français le dit avec plus de force qu’ailleurs ; mais cela est largement ressenti ailleurs. Sur ce terrain, nous pourrions bien nous situer d’une certaine façon en avance.

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