Certes, Royal a des idées... mais sont-elles socialistes ?
De la suppression de la carte scolaire à l'arrêt du regroupement familial...
Par par Bariza KHIARI, sénatrice de Paris, pour Libération.fr, mercredi 27 septembre 2006
Dernièrement, dans Libération, Arnaud Montebourg exhortait les socialistes à relire « les discours et les déclarations [de Ségolène Royal]», assurant qu’ils y trouveraient des propositions susceptibles de «rassembler toutes les Gauches » et de créer ainsi la dynamique nécessaire pour l’emporter en 2007.
On constate, à l’issue de cet exercice, que Ségolène Royal a certes des idées ; pas toujours cohérentes et pas forcément socialistes. On constate surtout que ces dernières sont peu susceptibles de fédérer la gauche française. La stratégie de la triangulation, qui consiste à s’approprier les idées et propositions politiques du camp adverse, est la plus mauvaise pour créer le rassemblement du peuple de gauche. Or, sur certains grands débats de fond, Ségolène Royal a la tentation de s’affranchir du projet socialiste, au risque de s’éloigner des valeurs qui fondent notre identité.
Alors que les élus du PS et de la Gauche se mobilisaient contre le projet de loi de Nicolas Sarkozy relatif à l’immigration, Ségolène Royal, dans une interview au Monde, prenait position pour une conception de l’immigration proche de celle du Ministre de l’Intérieur. Plus encore, elle déclarait récemment dans le quotidien espagnol El Pais qu’il fallait mettre l’accent sur une politique “d’immigration temporaire de travail”, grâce à laquelle “il n’y a pas de regroupement familial parce que les travailleurs retournent chez eux”.
Après l’usine sans ouvrier, voici l’immigré sans famille !
Allant même plus loin que le Ministre de l’Intérieur dans l’instrumentalisation économique de l’immigration, elle suggère de s’inspirer du Royaume-Uni, où “l'Etat répond en quinze jours aux demandes des entreprises”. Elle propose d’ « imaginer que les autorisations de travail soient gérées par les préfets de région en concertation avec les régions qui sont responsables du développement économique et en contact avec les entreprises » (Le Monde, 23 juin). Il reviendrait donc au MEDEF de décider de la politique migratoire de la France et, en dernier ressort, du destin de ces travailleurs temporaires. A la moindre protestation, le travailleur immigré verrait son contrat de travail écourté, contraint de retourner dans son pays ou alors d’entrer dans la clandestinité.
L’immigré en CDD, corvéable et jetable, inaugurerait une nouvelle forme de dumping social préjudiciable à tous.
Que la droite réduise l’immigré à sa seule force de travail, nous en avions l’habitude. Mais qu’une telle proposition vienne d’une candidate à l’investiture socialiste augure mal du rassemblement de la Gauche et en dit long sur l’état du Parti Socialiste post 21 avril.
Le score élevé de l’extrême gauche au premier tour des présidentielles de 2002 aurait dû conduire tous les responsables socialistes à se recentrer sur nos valeurs de gauche. C’est vrai sur la question de l’immigration comme sur la question sociale. Le résultat du referendum, le refus du CPE, le choc de la crise des banlieues et la mobilisation des français pour les enfants des sans-papiers illustrent l’aspiration de nos concitoyens à plus de justice pour eux-mêmes comme pour les immigrés. Ils veulent une France forte et solidaire.
Il est vrai que l’immigration pose aux socialistes un vrai cas de conscience tant cette réalité met nos principes à l’épreuve : humanisme et universalisme du socialisme d’un côté, réalisme et responsabilité dans l’exercice du pouvoir de l’autre.
Notre pays ne peut, ni ouvrir ses portes à tous les « candidats au bonheur » fuyant la faim, la pauvreté, la corruption, ou la guerre; ni se refermer sur lui-même sous l’aile d’une Europe forteresse. A défaut de se doter d’une doctrine - forcément simpliste - il est impératif que le Parti Socialiste, sans jamais renoncer à ses valeurs, prône de bonnes pratiques.
Les socialistes sont convaincus que les étrangers, au même titre que les nationaux, doivent avoir le droit de mener une vie familiale. C’est pourquoi, dans son projet, le Parti Socialiste s’est engagé à abroger les dispositions de la loi Sarkozy qui durcissent le regroupement familial et suppriment la régularisation des étrangers clandestins au terme de dix années de résidence.
Le peuple de gauche n’attend pas d’un candidat socialiste qu’il fasse campagne sur la suppression de la carte scolaire, l’encadrement militaire des jeunes primo-délinquants, le durcissement de la double peine ou encore sur l’arrêt du regroupement familial.
Le peuple de gauche attend des engagements clairs sur l’emploi, le pouvoir d’achat, l’accès au logement, l’éducation, la rénovation démocratique et l’ancrage social de l’Europe.
Nous avons tout à perdre à faire campagne sur des thématiques de droite comme à surfer sur les enquêtes dites d’opinion, toujours en décalage avec le suffrage universel. Si François Mitterand avait donné crédit à ces enquêtes, nous n’aurions pas aboli la peine de mort.
Les socialistes doivent veiller à ce que la campagne ne se termine pas le jour de l’investiture de leur candidat. Par leur choix, ils en seront collectivement comptables. Arnaud Montebourg nous a fort justement invités à faire preuve de sagacité. Comme nous n’oublions pas ses propres déclarations d’hier, nous devrons durant la campagne interne garder à l’esprit celles de Ségolène Royal malgré les inévitables postures de circonstance.