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Millenium Graindesel
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23 août 2006

EVOLUTION...RE EVOLUTION...

Tribune parue dans le journal « LeMonde » édition du 23 août

Le PS est-il en train de changer de nature ? Va-t-il devenir un parti de supporteurs, ayant acquis pour 20 euros le droit de désigner tous les cinq ans, le ou la candidat(e) socialiste à l'élection présidentielle, sans autre implication ni obligation ?

Les 85 000 nouveaux adhérents qui ont rejoint le parti au printemps dernier doivent, en principe, être accueillis dans une section et devenir des militants à part entière. Mais bien peu d'entre eux ont participé au vote sur le projet socialiste, le 22 juin, qui n'a mobilisé que 50 % des 22 0000 inscrits.

Le risque existe que cohabitent au sein du PS deux catégories d'adhérents : les militants actifs à l'ancienne, intégrés à un collectif politique de base - la section de localité ou d'entreprise -, assumant le travail politique quotidien ; et les adhérents individuels, socialistes "hors sol", détenteurs de droits de vote et supporteurs dans les campagnes électorales.

Ce risque est d'autant plus réel qu'il est de bon ton aujourd'hui de sonner le glas du parti de militants.

Ce type de parti, nous explique-t-on, avait son utilité dans les premiers âges de la démocratie : après la conquête du suffrage universel et avant l'avènement de la télévision. Le parti de militants de masse permettait alors de mobiliser et de fidéliser des millions de nouveaux électeurs peu instruits et faiblement politisés. Il informait les dirigeants sur l'état de l'opinion et fournissait une "main-d'oeuvre" abondante et bénévole pour l'action politique.

Aujourd'hui, les médias audiovisuels permettent un rapport direct entre les politiques et les citoyens-téléspectateurs et, de plus en plus, internautes. Les instituts de sondages révèlent les meilleurs candidats aux divers mandats électifs - ceux qui, selon eux, ont le plus de chances d'être élus. Les enquêtes d'opinion informent les dirigeant sur les demandes des diverses catégories d'électeurs. Après la sphère domestique, dans les années 1960, la marchandisation et la professionnalisation gagnent la sphère politique : les entreprises d'affichage se substituent de plus en plus aux colleurs d'antan, les sociétés de portage aux diffuseurs de tracts bénévoles, les firmes de sécurité aux gros bras des services d'ordre. Les agences de communication proposent des campagnes électorales "clés en main" aux "entrepreneurs politiques". Le financement public des partis rend tous ces services accessibles aux grandes formations. Les cotisations des adhérents et des élus jouent désormais un rôle d'appoint. Bref, le militant politique serait devenu superflu, et même encombrant.

Son obsolescence tombe d'ailleurs à point nommé : avec l'effondrement des grandes idéologies messianiques du siècle dernier et l'avènement de la société d'hyperconsommation, il n'avait plus tellement de coeur au ventre. Exit, donc, le parti de militants. L'avenir est au parti d'électeurs à l'américaine. Une telle évolution n'est ni souhaitable ni inéluctable.

Dans le monde dans lequel nous sommes entrés, la gauche a plus que jamais besoin de partis puissants, novateurs, réellement capables de modifier les rapports de forces en faveur des salariés, d'agir sur l'opinion publique, plutôt que de la refléter et de la subir. Les partis de supporteurs sont incapables de s'acquitter de ces tâches. Dans la bataille politique, et singulièrement dans le bras de fer électoral, rien ne remplace un dense réseau de militants éduqués, expérimentés, implantés sur tout le territoire, actifs dans les associations, les syndicats, les mouvements sociaux.

Le Parti socialiste doit assumer pleinement toutes les fonctions qui incombent au principal parti de la gauche dans notre démocratie. Il ne doit pas abandonner la sélection de ses candidats aux instituts de sondages ; l'élaboration de son programme aux experts des think tanks ou aux forums d'Internet ; la défense des valeurs et des idées de la gauche aux associations spécialisées ; l'animation des mouvements sociaux à l'extrême gauche protestataire.

Nous sommes entrés dans un nouvel âge de la démocratie, et le Parti socialiste doit renouveler profondément ses pratiques politiques et ses modes d'organisation. Il doit rajeunir, féminiser, diversifier sa base militante ; inventer de nouvelles formes de participation politique, mobilisant ses sympathisants et associant ses électeurs. Il ne doit pas se résigner à la fin du parti de militants.

Une telle évolution, déjà engagée, serait désastreuse pour notre démocratie. Celle-ci a besoin de partis jouant pleinement leur rôle ; elle a tout à craindre, au contraire, de leur abdication.

Henri WEBER

Député européen

Secrétaire national du Parti Socialiste

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